ÉGYPTE ANTIQUE - L’archéologie

ÉGYPTE ANTIQUE - L’archéologie
ÉGYPTE ANTIQUE - L’archéologie

Préparée par les travaux des savants de l’expédition d’Égypte (menée par Bonaparte en 1798-1799), amorcée par les découvertes de voyageurs érudits célèbres, tels Champollion (qui, en 1828-1829, remonta le Nil jusqu’à la deuxième cataracte) puis le Prussien Lepsius (qui, de 1842 à 1845, visita de nombreux sites, s’avançant loin dans ce qu’on appelait alors l’Éthiopie, c’est-à-dire l’actuel Soudan), la grande aventure de l’archéologie égyptienne, la recherche systématique sur le terrain des matériaux nécessaires à la reconstitution de l’histoire, est née vraiment avec Auguste Mariette: au terme d’une quête obstinée dans les sables de Saqqara, le 12 novembre 1851 il découvre l’entrée du Serapeum de Memphis, les vastes souterrains de la nécropole des taureaux sacrés. Pendant trente ans, jusqu’à sa mort au Caire le 18 janvier 1881, Mariette-Pacha s’identifia à l’archéologie égyptienne; il fut nommé maamour (directeur) des antiquités en 1858 et il est peu de sites d’Égypte où il n’ait travaillé; les énormes dégagements qu’il opéra sont aujourd’hui jugés parfois quelque peu rapides – mais ils étaient nécessaires; dans le secteur des pyramides, on lui doit, entre autres, la découverte de la statue du Cheikh el-Beled, puis celle du Khephren en diorite, la tombe de Ti et la liste royale de Saqqara; à Abydos, il trouva nombre de monuments funéraires et une autre liste royale non moins fameuse; San el-Hagar, l’antique Tanis, lui réserva les monuments inscrits aux noms des Hyksos, ces envahisseurs asiatiques de la Seconde Période intermédiaire (vers 1650-1550 av. J.-C.); dans la nécropole thébaine, il découvrit les trésors de la reine Aahhotep et à Deir el-Bahari il étudia le temple de la reine Hatshepsout; à Karnak, il dégagea le grand temple dynastique et y recueillit les inscriptions des rois du Nouvel Empire, en particulier les textes triomphaux de Thoutmosis III; il fit resurgir les immenses sanctuaires ptolémaïques de Dendera et d’Edfou dont les ruines étaient couvertes de pauvres villages; pour abriter tous les trésors recueillis, Mariette créa ce qui est devenu le musée du Caire.

À Gaston Maspero qui lui succéda à la direction du Service des antiquités de l’Égypte est due l’installation au Caire d’une école française, le futur Institut français d’archéologie orientale. Deux brillantes découvertes marquèrent les débuts de son activité: celle des textes gravés dans les appartements funéraires des pyramides de la fin de la Ve et de la VIe dynastie, à Saqqara, la plus ancienne composition religieuse de l’humanité, et celle des momies royales de Deir el-Bahari; de cette cachette sortirent des objets précieux et les dépouilles d’une dizaine de pharaons, dont les illustres conquérants Thoutmosis III et Ramsès II, les vestiges de reines et de princes, ainsi que l’abondant matériel funéraire des pontifes thébains de la XXIe dynastie. Réorganisant le musée, il écrivit un «Guide» pour les visiteurs, qui est un véritable manuel, et traça le plan d’un catalogue général qui offre une suite de plus d’une centaine d’épais volumes, malheureusement aujourd’hui interrompue. Quand, au début de ce siècle, la Nubie fut menacée de submersion par la construction de la digue d’Assouan, il sut organiser une exploration de la vallée qui a abouti à la publication d’une magnifique série, Les Temples immergés de la Nubie . Donnant au Service des antiquités de l’Égypte une ferme structure, luttant avec acharnement contre les fouilles clandestines, réglementant la quête, par les fellahs, du sebakh (cette terre de décomposition des ruines, riche en engrais, certes, mais aussi en vestiges archéologiques), Maspero reçut le concours de nombreuses missions étrangères.

Depuis la fin du XIXe siècle, les fouilles connaissent un essor magnifique, à travers l’ensemble d’un pays éminemment archéologique, qui ne cesse de fournir de nouveaux sites, des monuments sans nombre, des découvertes retentissantes; les recherches sont organisées par les universités et les sociétés savantes de divers pays européens; un rôle prépondérant y est tenu par l’Egypt Exploration Society avec Flinders Petrie. Après la coupure de la Première Guerre mondiale, le mouvement s’amplifie; certains sites reçoivent des missions quasi permanentes. Le rôle des savants égyptiens s’affirme après la création en 1925 d’un département d’égyptologie à l’université du Caire. L’abondance et l’importance des inscriptions qui couvrent les monuments pharaoniques est telle que, d’une manière quasi exclusive, les fouilleurs sont des égyptologues, c’est-à-dire avant tout des spécialistes des textes; quelques rares architectes reçoivent la lourde tâche de l’étude et de la maintenance des grands sites tels Karnak et Saqqara.

Un changement considérable a été apporté par la campagne de sauvetage de la Nubie. En 1958, des appels solennels sont lancés, sous l’égide de l’U.N.E.S.C.O., pour l’étude immédiate des monuments de la Nubie qui allaient être définitivement submergés: l’édification près d’Assouan d’une énorme digue longue de 6 kilomètres, épaisse à la base de 1 200 mètres, faisant passer le plan des eaux de 120 à 180 mètres, allait noyer la vallée en amont, sur 500 kilomètres, sur une largeur qui dépasse parfois 30 kilomètres. C’est alors à travers le monde une étonnante émulation; près d’une centaine de missions offrent leur coopération; il arriva des archéologues de toutes provenances, spécialistes des époques et des disciplines les plus variées: préhistoriens, paléoanthropologues, palynologues, zoologues, architectes, céramologues, épigraphistes, restaurateurs, papyrologues, historiens du christianisme, africanistes; la Nubie devint un champ d’expérimentation de techniques et de méthodes d’investigation archéologique. Paradoxalement, la Nubie a été ainsi l’objet d’une exploration des plus attentives et minutieuses, alors qu’elle n’était qu’un étroit et pauvre corridor assurant, de façon fort précaire d’ailleurs, le passage entre l’Égypte et une Afrique bien plus profonde.

Dans ces régions du haut Nil, en amont de la deuxième cataracte, la connaissance des vestiges archéologiques demeurait fort sommaire. Leur accès était resté très difficile en raison du climat et des verrous rigoureux des cataractes. Peu d’archéologues s’y étaient aventurés. Certes, G. A. Reisner avait procédé entre 1917 et 1923 à la fouille des nécropoles de Napata et de Méroé, ainsi que du grand ensemble monumental du Gebel Barkal; mais il fallut attendre 1950 pour que commençât à sortir la publication de la série prestigieuse des Royal Cemeteries of Kush . Tandis que s’organisait au Soudan un service des antiquités actif et compétent, quelques rares missions ont commencé à étudier les vestiges nombreux et très variés de cette immense région; ainsi s’est ajouté au domaine de l’égyptologie un énorme secteur tout neuf – d’un intérêt primordial, si on considère que la civilisation pharaonique procède, pour l’essentiel, des cultures paléo-africaines qui se sont développées aux hautes époques, tout au long du Nil, fleuve d’Afrique.

Plutôt que de dresser ici l’interminable inventaire topographique des entreprises qui, pendant deux siècles, ont été menées sur une multitude de sites, plutôt que de suivre en détail toutes les phases, qui, durant plus de quatre millénaires, se sont succédé, depuis la préhistoire jusqu’à ce que disparaisse la culture pharaonique sous les coups de boutoir successifs de l’hellénisme, du christianisme et de l’islam, nous voudrions nous arrêter à quelques points particulièrement importants pour lesquels, au cours des récentes campagnes, s’est affirmé l’intérêt, toujours vif, d’une activité archéologique qui demeure intense. À travers l’Égypte, d’abord, nous fixerons notre attention sur les apports majeurs qui renouvellent notre connaissance des grandes périodes de la préhistoire et de l’histoire égyptiennes. Puis nous tenterons la même analyse dans le domaine des antiquités du Soudan, où se trouve sans doute la réponse à plus d’une question concernant l’origine de la civilisation pharaonique.

1. La préhistoire égyptienne

La préhistoire égyptienne, longtemps négligée, a été mise à l’honneur depuis quelques années. Une mission de la Southern Methodist University de Dallas, dirigée par F. Wendorf, a exploré les sites du Paléolithique et du Néolithique dans le désert occidental. À Ouadi Koubbaniya, en face de Kom Ombo, elle a recueilli des grains d’orge, probablement domestique, en association avec des sites du Paléolithique tardif, datés de 18 300 à 17 200 ans environ, qui ont livré également de nombreux mortiers et des meules; cette découverte permet de reculer considérablement la date présumée des débuts de l’agriculture en Égypte. À El-Kab, une mission belge fouille depuis quelques années des sites épipaléolithiques, puis une nécropole prédynastique que son matériel, poteries et palettes, permet de dater vers 3000 avant J.-C. Non loin de là, à Hiérakonpolis, une mission américaine poursuit des recherches sur le site de la ville prédynastique; des structures datant de l’Amratien et du Gerzéen ainsi que des témoignages plus tardifs fournissent un panorama assez complet des périodes prédynastique et protodynastique.

Mais les recherches aujourd’hui les plus importantes sont sans doute celles qui sont menées à l’extrémité nord de la vallée. Le delta du Nil, terre peu propice à la conservation des antiquités et dépourvue des ruines prestigieuses qui jalonnent plus au sud le cours du fleuve, a été longtemps boudé des archéologues. La découverte spectaculaire à Tanis, par P. Montet et son équipe, des tombeaux des pharaons des XXIe et XXIIe dynasties, avec leur splendide matériel, n’a pas eu le retentissement qu’elle méritait; car, peu après, éclatait la Seconde Guerre mondiale. Il a fallu attendre 1966 pour que la mission autrichienne de Manfred Bietak à Tell el-Daba souligne à nouveau, par des fouilles capitales pour notre connaissance de la période hyksos, l’importance archéologique du Delta. Cependant, la région fut bientôt quasi interdite aux égyptologues, durant plusieurs années, en raison des hostilités entre l’Égypte et Israël. Réouverte depuis peu à l’investigation, elle est le théâtre de découvertes majeures concernant des périodes encore mal connues. Sur le site de Menshet Abou Omar, à l’extrême est du Delta, les archéologues de Munich, dirigés par D. Wildung, viennent d’entreprendre la fouille d’une riche nécropole protodynastique, qui a déjà livré des poteries typiques de l’époque de Nagada III et des dynasties «O» et «I», des couteaux en silex, des bijoux en or et en cornaline et des palettes en pierre dure. Dès à présent la découverte de ces dernières ruine totalement la thèse qui opposait les pasteurs nomades de Haute-Égypte détenteurs d’objets mobiliers légers aux paysans sédentaires du Delta dont on supposait les inhumations dotées d’objets lourds. Pour les aurores de l’époque prédynastique, on ne pouvait guère recourir jusqu’ici, en dehors des fouilles récentes que nous avons précédemment mentionnées, qu’aux découvertes effectuées au début de ce siècle en basse Nubie (poteries du «groupe A», premiers essais de taille de la pierre dure et du travail du métal) et à celles des fouilles anglaises (découvertes de Flinders Petrie, mise en évidence des cultures du Badarien et des deux phases de Nagada: Amratien et Gerzéen). Désormais, les recherches qui se poursuivent à Menshet Abou Omar et aussi sur la frange occidentale du delta, à Mérimdé Beni-Salamé, ne manqueront pas de donner de nouveaux éclairages sur la préhistoire et sur la protohistoire, en particulier sur les rôles respectifs du Sud et du Nord dans l’élaboration de la culture du Double-Pays, un des problèmes décisifs de l’archéologie égyptienne.

2. L’Ancien Empire

À Saqqara, au sud immédiat du Caire, dans le vaste secteur des Pyramides, J.-P. Lauer poursuit depuis 1926, sur ce site majeur de l’archéologie égyptienne, la restauration et l’anastylose du complexe funéraire qui entoure la pyramide à degrés de Djoser, le fondateur de la IIIe dynastie (vers 2600 av. J.-C.). C’est le premier monument colossal de l’architecture égyptienne, Imhotep, le génial architecte de Djoser, ayant eu l’idée de transposer dans la pierre les constructions antérieures de bois ou de briques crues, qui figurent elles-mêmes des édicules prédynastiques en roseaux, clayonnage et pisé. Après les maisons dites du sud et du nord, l’allée de l’entrée du complexe, le parapet et le chemin de ronde, les chapelles de la cour du Heb-Sed, où se déroulait la fête du jubilé du roi, toutes ces constructions resurgissent peu à peu des sables du désert. Au centre, la haute pyramide à degrés se dresse encore jusqu’à 66 mètres; à partir du mastaba, édifice en forme de banquette qui constituait la superstructure des sépultures antérieures, se développe ainsi cette sorte d’escalier monumental qu’est la pyramide, lieu privilégié entre le monde des hommes et celui des dieux.

Un peu au nord, à Abousir, l’Institut tchécoslovaque, dirigé par M. Verner, vient d’apporter des éclaircissements sur la fin de la IVe et le début de la Ve dynastie (vers 2500-2400 av. J.-C.). L’importance d’Abousir s’était déjà maintes fois affirmée: fouilles allemandes du début du siècle aux pyramides de Sahourê et de Neouserrê, dégagement du temple solaire de Neouserrê par les Suisses et du mastaba de Ptahshepses par la mission tchèque de Z. Z face="EU Caron" オba. En 1976, les recherches furent reprises dans la zone sud du site; on découvrit un complexe pyramidal appartenant à la reine Khentkaous; vraisemblablement fille de Mykérinos, cette reine serait la fondatrice de la Ve dynastie, car elle semble avoir été la mère des deux premiers rois de cette lignée, Ouserkaf et Sahourê. La «pyramide inachevée» est celle du roi Rênéféref, successeur de Sahourê et de Neferirkarê; des éléments de son temple funéraire ont été mis au jour. En outre, au sud-est a été commencée la fouille d’un complexe de mastabas; dans celui de Khekéretnebty, fille du roi Djedkarê-Isesi, on a recueilli une partie du mobilier funéraire. Enfin, une très importante trouvaille de papyrus vient compléter le lot déjà si considérable des archives de Neferirkarê-Kakaï, qui a permis à Mme Posener-Krieger de faire revivre le fonctionnement d’un temple dans ces hautes époques. Pour ses investigations, la mission tchèque a utilisé avec succès les méthodes géophysiques: mesures géomagnétiques, études de la résistance électrique; elle a employé un kapamètre pour mesurer la sensibilité magnétique de l’architecture de briques crues du temple de Khentkaous, afin de déterminer les différents stades de construction et les modifications architecturales.

Dans le secteur de Saqqara-Sud, la mission archéologique française, dirigée par J. Leclant depuis 1964, poursuit des recherches dans les pyramides à textes de la fin de l’Ancien Empire (vers 2300 av. J.-C.). Dans ces monuments, explorés par G. Maspero il y a juste un siècle en 1881, les murs des appartements funéraires sont gravés de longues colonnes de hiéroglyphes ; ces inscriptions religieuses et magiques, connues sous le nom de Textes des pyramides , constituent la première grande composition de la littérature universelle. De nombreux fragments inscrits arrachés des parois étaient accumulés dans les couloirs et les chambres, encore non dégagés, de Téti, Pépi Ier et Merenrê, souverains de la VIe dynastie. La mission française dut déblayer d’immenses monceaux de gravats, consolider et réparer les énormes dalles des plafonds risquant de s’écrouler, redresser à leur place d’origine les éléments des murs. Un gigantesque puzzle a été entrepris; il s’agit de reconstituer les textes, à partir des vestiges des parois et des milliers de fragments tombés à terre et recueillis dans les déblais. Parallèlement furent menées des recherches sur les textes eux-mêmes: particularités graphiques ou grammaticales, étude de la tradition textuelle, comparaison avec les versions déjà connues, mise en évidence de textes nouveaux, enquêtes sur les éléments neufs, examen de la répartition des textes sur les parois.

La mission a également procédé à la fouille des temples hauts de Téti et surtout de Pépi Ier, très vastes ensembles de décombres chaotiques. Dans ce dernier complexe, la mission a dégagé le sanctuaire aux offrandes, le sanctuaire aux niches à statues, une cour à portiques, puis le hall d’entrée. Des centaines de fragments de reliefs d’une grande beauté ont pu être récupérés. Plusieurs magasins à deux étages ont été mis en évidence près de la face est de la pyramide de Pépi Ier. On y a trouvé des statues de prisonniers aux bras liés, qui étaient destinées à être utilisées par des chaufourniers installés dans les magasins déjà ruinés. Dans les niveaux postérieurs du temple de Pépi Ier furent découverts de nombreux éléments architecturaux ainsi que des statues fragmentaires, des tables d’offrandes, des stèles de personnages du Moyen Empire, qui témoignent de l’existence, pour cette période, d’un culte funéraire de Pépi Ier.

Pendant longtemps, les grandes oasis situées à l’ouest du Nil ont été négligées par les égyptologues: elles étaient isolées, d’accès difficile – et il y avait déjà tant à faire dans la vallée du Nil. Les recherches effectuées de 1968 à 1972 par l’archéologue égyptien Ahmed Fakhry, en particulier dans l’oasis de Dakhla, avaient attiré l’attention générale, avant son décès brutal et prématuré. Aussi, une mission de l’Institut français d’archéologie orientale, sous la direction de S. Sauneron, reprit-elle le travail, à Kharga et à Dakhla. Les fouilles menées par J. Vercoutter à Balat, localité située à l’entrée orientale de l’oasis de Dakhla, ont montré que la présence égyptienne y était plus ancienne et plus importante qu’on ne l’avait pressenti. La nécropole de Qila el-Dabba groupe cinq mastabas; ces tombeaux de gouverneurs de l’Oasis sont entourés de tombes de courtisans et de fonctionnaires. Le mastaba V, inviolé, comportait un corridor décoré de peintures murales, très endommagées, montrant des scènes agrestes et des représentations de la vie quotidienne. Les salles funéraires renfermaient une grande quantité de poteries et des récipients en pierre dure. Dans la chambre sud reposait Medou-Nefer, gouverneur de l’Oasis, inconnu jusqu’ici, entouré d’un riche mobilier: bijoux en or, perles en pierres semi-précieuses, modèles de palettes de scribes en albâtre, nécessaires de toilette, coffres en bois stuqué, vases, lames de cuivre. Une autre salle a livré un abondant matériel avec un gobelet portant mention du premier jubilé royal de Pépi II, un vase d’albâtre ainsi qu’une statuette de babouin assis portant la titulature de ce même souverain. Le mastaba V pourrait ainsi être daté de la fin de l’Ancien Empire (2160 av. J.-C.) ou peu après. Le mastaba II, malheureusement pillé, serait un peu plus récent et remonterait à la Première Période intermédiaire; il a été réutilisé comme sépulture collective à diverses époques. Une ville, sur le site d’Aïn Aseel, était associée à cette nécropole; très étendue, elle s’est révélée complexe, avec six niveaux différents, dont les plus anciens remontent à l’Ancien Empire. Ces découvertes éclairent d’un jour nouveau l’histoire de l’Ancien Empire et celle des oasis. Ajoutons qu’une mission canadienne, sous la direction du professeur A. J. Mills, a commencé une prospection archéologique de Dakhla destinée à mieux connaître l’histoire de l’oasis depuis l’époque néolithique jusqu’à la période préislamique.

3. Le Moyen Empire

Si le Moyen Empire est l’un des temps forts de l’histoire et de la civilisation égyptiennes et se trouve relativement bien connu, des découvertes restent possibles, même sur des sites aussi étudiés que Dahshour. Une mission de l’Institut archéologique allemand du Caire, dirigée par D. Arnold, qui poursuit des travaux dans le secteur du complexe pyramidal d’Amenemhat III (XIIe dynastie, vers 1800 av. J.-C.), a retrouvé dans la pyramide les caveaux de deux reines, mortes très jeunes; l’une seulement était déjà attestée par les inscriptions; bien que pillées dès la XIIIe dynastie, les deux tombes ont conservé de nombreux vestiges du riche mobilier funéraire: vases en albâtre, récipients en obsidienne, restes de bijoux, poteries. Un système de corridors traverse des chambres de calcaire, qui, trop petites pour avoir servi de lieux d’inhumation, ont pu avoir des fonctions cultuelles; l’une d’elles contenait un magnifique coffre à canopes en albâtre, ce qui laisse supposer la proximité d’une sépulture, peut-être une tombe annexe du roi, voire sa tombe du sud. Dans les affaissements et les divers dommages observés à l’intérieur de la pyramide, on pourrait trouver la raison de l’érection d’une seconde pyramide du roi à Hawara.

Sur la côte de la mer Rouge, région longtemps dédaignée par les archéologues, une mission conjointe du Service des antiquités et de l’université d’Alexandrie a découvert au Ouadi Gasous un réservoir d’eau, qui contenait entre autres une stèle du roi Amenemhat Ier (XIIe dynastie, vers 1990-1960 av. J.-C.). Puis à Marsa Gausis, port connu à l’époque gréco-romaine sous le nom de Philotera, ont été mises au jour des stèles du Moyen Empire; l’une est au nom d’Antekofer, vizir de Sésostris Ier (vers 1970-1920 av. J.-C.). Une chapelle et une stèle révèlent l’existence d’un certain Ankhou. Ces documents majeurs commémorent des expéditions vers Pount, le mystérieux pays de l’encens, dont la localisation exacte demeure une des énigmes de l’archéologie du nord-est de l’Afrique; l’une groupait 3 200 hommes. Des ancres de calcaire inachevées et des pièces de bois travaillé indiquent que les navires utilisés étaient fabriqués sur les bords du Nil; transportés en pièces détachées par les routes du désert, ils étaient assemblés sur le bord de la mer Rouge. Les expéditions commerciales vers le pays de Pount, que les reliefs du temple funéraire de la reine Hatshepsout ont rendu célèbres pour le Nouvel Empire, semblent ainsi avoir été organisées couramment dès le Moyen Empire

S’il est une période particulièrement mal connue de l’histoire pharaonique, c’est celle des Hyksos. Or, les fouilles menées à Tell el-Daba, au nord-est du delta, par la mission autrichienne de Manfred Bietak, sont d’une importance majeure; ce secteur doit probablement être identifié avec Avaris, la capitale des Hyksos. Sous des niveaux appartenant à l’époque ramesside (XIXe et XXe dynasties), qui pourraient être les restes d’un quartier de la ville de Pi-Ramsès, dont un autre secteur se situerait non loin de là à Qantir, a été dégagé un «établissement» dont les vestiges se rattachent davantage au Bronze moyen de Syrie ou de Palestine qu’à la civilisation égyptienne. Des temples de type cananéen étaient consacrés à Seth-Baal et à sa parèdre Astarté. Le matériel recueilli dans les nécropoles et les habitations dénote une population d’origine asiatique, apparemment égyptianisée. Sous ces vestiges cananéens, la mission a reconnu une couche d’incendie: ce sont les restes du Moyen Empire, au-dessus desquels s’était construite la cité hyksos; celle-ci prit une extension considérable durant la Deuxième Période intermédiaire. Un jambage de porte fragmentaire est orné de la titulature du roi Nehesy, souverain local, qui reçut l’épithète d’«aimé de Seth, maître d’Avaris». Après la destruction de la ville au début du Nouvel Empire, l’absence de construction sur le site jusqu’à la fin de la XVIIIe dynastie semble plaider en faveur de l’identification avec Avaris, l’interdit ayant été jeté sur l’emplacement de la ville maudite.

4. Le Nouvel Empire: Thèbes et Memphis

Thèbes, en haute Égypte, fut à son époque la plus glorieuse, celle du Nouvel Empire (vers 1550-1070 av. J.-C.), l’un des hauts lieux de l’histoire égyptienne. À Karnak, le grand temple dynastique, avec ses annexes, mériterait à lui seul une longue étude, tant sa prospection a été l’objet de travaux – et pourtant une partie considérable des ruines demande encore à être fouillée et beaucoup des vestiges dégagés ne sont pas à proprement parler publiés. De nombreux archéologues, tels G. Legrain, M. Pillet, H. Chevrier, C. Robichon, Labib Habachi, ont développé une activité inlassable; les secteurs de recherches sont multiples depuis Karnak-Nord, où la mission de l’Institut français d’archéologie orientale a repris en 1968 les fouilles interrompues depuis 1951, jusqu’au temple de Mout, qu’explore présentement une mission américaine. Le Centre franco-égyptien, fondé en 1967, a entrepris des travaux d’importance: relevé du décor et des inscriptions des monuments, fouilles, travaux de restauration et d’anastylose. Dans l’enceinte du temple d’Amon, qui est sans doute le site le plus étudié de toute l’Égypte pharaonique, on continue à faire des découvertes importantes. Ainsi, le môle ouest du neuvième pylône du temple, construction massive qui menaçait de s’effondrer, a été démonté pierre par pierre depuis 1968; dans le remplissage ont été recueillis plus de 13 000 blocs (les «talatates») décorés de reliefs, qui provenaient d’un temple disparu, édifié à l’est de la grande enceinte de Karnak par le pharaon hérétique Aménophis IV (vers 1360 av. J.-C.) et consacré par lui à Aton, le disque solaire. Après l’échec de la révolution religieuse amarnienne, on tenta d’en faire disparaître jusqu’au souvenir; les pierres du temple furent démontées et réutilisées par le pharaon Horemheb (vers 1330-1300 av. J.-C.) pour le remplissage du neuvième pylône. Les talatates sont enregistrées et étudiées par les archéologues de Karnak; leur assemblage permet peu à peu de reconstituer les parois décorées de ce temple inconnu; des informations précieuses sont obtenues sur l’architecture, l’urbanisme et la vie dans la capitale thébaine sous la XVIIIe dynastie, et plus précisément durant la période amarnienne.

En face de Karnak, sur la rive ouest du Nil, de nombreuses missions archéologiques poursuivent des fouilles, des travaux de relevés, de nettoyage et de restauration dans les tombes ou les temples funéraires de la nécropole thébaine. Une mission de l’université de Berkeley (Californie), dirigée par K. R. Weeks, a travaillé à l’élaboration d’une nouvelle carte de l’ensemble de la nécropole en réalisant pour ce faire une prospection topographique et archéologique générale du secteur, avec des plans, des coupes et des relevés de tombes. À Deir el-Bahari, la mission polonaise, avec l’architecte Z. Wysocki et les archéologues J. Lipinska et J. Karkowski, reconstruit le célèbre temple funéraire de la reine Hatshepsout et celui de son implacable rival Thoutmosis III.

Dans la vallée des Reines, plusieurs tombes posent de graves problèmes de conservation. C’est le cas en particulier de la sépulture si délicatement peinte de la célèbre reine Néfertari, épouse de Ramsès II. Une mission du Centre d’étude et de documentation sur l’ancienne Égypte, dirigée par Christiane Desroches-Noblecourt, a effectué le dégagement et l’étude de plusieurs sépultures, en particulier celles de la reine Touy (no 80) et de la reine Ta-Nedjemy (no 33), monuments du Nouvel Empire qui ont beaucoup souffert de leur utilisation comme sépultures collectives à des époques postérieures.

Cependant, la nécropole thébaine ne saurait se prévaloir du monopole des tombes du Nouvel Empire. Dans l’autre capitale, Memphis, il faut mentionner la découverte importante, à Saqqara, de la tombe préparée pour Horemheb, à la fin de la XVIIIe dynastie. On ne connaissait de cette sépulture que de magnifiques fragments de reliefs dérobés au siècle dernier et conservés dans les grands musées. Son emplacement exact a été mis en évidence par la mission conjointe de l’Egypt Exploration Society de Londres et du musée de Leyde, dirigée par G. T. Martin. Construite par Horemheb lorsqu’il n’était pas encore souverain, cette sépulture est devenue celle de son épouse, la reine Moutnedjemet. Le matériel recueilli a fourni de précieuses indications sur la fin de la XVIIIe dynastie, pour laquelle nos connaissances demeurent assez contradictoires. C’est à Saqqara encore, dans la falaise dite du Bubasteion, qu’Alain Zivie, de la mission archéologique française, a découvert les tombes de plusieurs hauts dignitaires de la fin de la XVIIIe dynastie: l’officier de marine Resh et surtout un vizir d’époque amarnienne demeuré ignoré, Aper-El; ces deux personnages aux noms sémitiques apportent de nouveaux exemples de la montée des Asiatiques dans la société du Nouvel Empire; de gros travaux de consolidation sont nécessaires dans cette falaise où, à plus basse époque, s’est développée une vaste nécropole de chats sacrés voués à la déesse Bastet.

5. Les époques tardives

De l’autre côté du ravin, le même banc rocheux comporte un autre grand tombeau, celui de Bakenrenêf (Bocchoris), vizir de Psammétique Ier, le premier souverain (664-610 av. J.-C.) de la dynastie saïte; le décor, fort beau, a conservé une partie de sa polychromie éclatante. Des travaux importants y ont été menés par le professeur Edda Bresciani, dirigeant une mission de l’université de Pise. Le sarcophage du vizir et celui de son père ont pu être restaurés; au riche matériel documentaire de cette époque, s’ajoute celui d’inhumations postérieures: sarcophages, textes hiératiques et démotiques, amulettes appartenant à des défunts de la famille de Pedeneith, vizir de la XXXe dynastie. C’est de cette dernière époque que date également la tombe voisine, celle de Pasheritaïsou.

Tout cela confirme l’importance de la nécropole memphite à la Basse Époque, mise autrefois en évidence par les découvertes de Mariette au Serapeum et plus récemment par les grands dégagements opérés de 1956 à 1964 dans le nord de Saqqara par l’Egypt Exploration Society sous la direction de W. B. Emery. Sur le revers du plateau faisant face à l’ouest, des installations monumentales furent utilisées par les pèlerins. Tandis qu’était repérée une nécropole de vaches sacrées, mères des taureaux Apis, de très vastes catacombes ont livré, par millions, des dépouilles momifiées de faucons, d’ibis et de babouins; ces derniers étaient les animaux sacrés du dieu Thot, en rapport sans doute avec le sage Imhotep, déifié à l’époque tardive; un lot de stèles atteste la présence de Cariens venus d’Asie Mineure; quant aux nombreux papyrus retrouvés, ils permettent de reconstituer de façon très vivante les travaux et les jours de Memphis aux temps tardifs.

Dans la nécropole thébaine, les travaux ont porté aussi sur les derniers siècles pharaoniques. Au nom de l’université de Milan, cette fois, Edda Bresciani a travaillé à la tombe de Nebneterou, vizir sous la XXIIe dynastie; le monument a été remanié par la suite. À l’orée du grand cirque de Deir el-Bahari, le quartier désigné sous le nom d’Assassif est depuis longtemps célèbre par les grands palais funéraires de Montouemhat et de Pétaménophis. La mission autrichienne de M. Bietak y a dégagé de façon exemplaire la sépulture d’Ankh-Hor, un dignitaire de l’époque éthiopienne; restaurée avec beaucoup de goût, elle offre aux visiteurs un excellent exemple de l’architecture et de l’art de la Basse Époque. À proximité, la mission belge a travaillé dans la tombe saïte de Pedehoresnet (no 196), tandis que le dégagement de la sépulture de Sheshonq (no 27) était confié à la mission de l’université de Rome. De nouvelles pages s’ajoutent ainsi à l’archéologie égyptienne.

En ce qui concerne les oasis, les recherches ne sont pas seulement précieuses pour notre connaissance de la fin de l’Ancien Empire tardif, mais aussi pour la période finale de l’Égypte ancienne. À partir de 1976, l’Institut français d’archéologie orientale mène des fouilles à Doush, dans le sud de l’oasis de Kharga. Une immense forteresse d’époque romaine domine le passage des pistes venant du Soudan et partant vers le Nil. Il s’y ajoute un temple égyptien construit sous l’empereur Domitien (81-96 apr. J.-C.) et complété sous Trajan et Hadrien, ainsi que les vestiges d’une ville et de nécropoles. De nombreux ostraca (fragments de poterie ou éclats de calcaire) portant des inscriptions en grec constituent des documents administratifs du IVe siècle; ils offrent des informations précises sur la vie des garnisons romaines et des populations locales. Des documents coptes renseignent sur la christianisation des oasis vers les débuts du IVe siècle.

Dans le sud de l’Égypte proprement dite, l’île de Philae a fait l’objet d’un grand sauvetage archéologique, d’une ampleur comparable à celui qui fut opéré pour les deux temples rupestres d’Abou Simbel. Depuis la mise en fonctionnement du haut barrage d’Assouan, les monuments de l’île, bien qu’en aval de la digue, étaient constamment menacés par le mouvement des eaux. À partir de 1970 ont commencé les travaux d’assèchement, ainsi que les relevés des temples en vue de leur transfert sur l’îlot d’Aglika, à 300 mètres plus au nord. Pour permettre les opérations de démontage, un batardeau a été établi autour de Philae; l’île d’Aglika quant à elle fut aplanie et agrandie pour recevoir les vestiges archéologiques. Durant le démontage furent découverts de nombreux blocs provenant d’édifices antérieurs et réutilisés. L’un d’eux, consacré à Arensnouphis, était situé devant le temple d’Isis; un temple d’Amasis s’étendait sous la salle hypostyle, tandis qu’au nord de la porte d’Hadrien s’élevait un kiosque de Psammétique II; d’autres blocs datent de l’époque de Taharqa (XXVe dynastie). Il apparaît ainsi que Philae a été un lieu de culte vénéré plus tôt qu’on ne l’imaginait.

6. Archéologie du Soudan

La basse Nubie est aujourd’hui totalement noyée sous les eaux du grand lac Nasser; hissés sur la nouvelle rive, les deux temples d’Abou Simbel, appuyés à des montagnes artificielles, témoignent de l’effort colossal que la conscience internationale a su accomplir pour sauver ces éléments du patrimoine universel. Cependant, la Nubie, ce qu’il en reste du moins, et le Soudan continuent à être des secteurs de pointe de la recherche archéologique. C’est que, dans la perspective d’un développement considérable de l’archéologie africaine et dans les débats, souvent passionnés, que suscitent les hautes époques du passé du continent noir, la haute Nubie et le Soudan prennent une importance capitale; par une meilleure connaissance de ces régions, on espère pouvoir expliquer certaines influences de la vallée du Nil en Afrique; inversement, on pourra peut-être mieux comprendre les composantes africaines de la civilisation égyptienne, souvent ignorées autrefois. Dans cette optique, le secteur compris entre la deuxième et la sixième cataracte du Nil ainsi que le Soudan méridional et occidental, demeurés longtemps de véritables zones de silence archéologique, ont suscité une attention particulière. Aussi suivait-on avec intérêt l’entreprise de F. W. Hinkel, de l’Institut d’histoire ancienne et d’archéologie de la R.D.A., qui a travaillé à l’élaboration d’une carte archéologique du Soudan par régions; les deux premiers volumes comportent de nombreuses cartes et une riche bibliographie.

Les recherches préhistoriques, particulièrement importantes pour une meilleure connaissance des rapports entre l’Égypte et l’Afrique, se multiplient au Soudan. Des travaux pionniers ont été effectués, dans les années 1950 par A. Arkell: Early Khartoum , Shaheinab. Puis ce furent les recherches systématiques menées dans la zone vouée à la submersion et dans les déserts avoisinants, en particulier celles de l’équipe de la South Methodist University de Dallas dirigée par F. Wendorf. En mars 1976, des travaux d’irrigation ont mis au jour fortuitement, à Kadada, près de Shendi, un site archéologique qui semble être un des gisements néolithiques les plus remarquables d’Afrique. La section française de recherches archéologiques, dirigée par F. Geus, a étudié de nombreuses tombes pourvues d’un matériel varié: œufs d’autruche utilisés comme récipients, figurines de terre cuite, perles en amazonite, anneaux d’ivoire, objets en os. Les poteries sont abondantes: vases noirs, récipients à décor incisé, jarres hémisphériques destinées aux inhumations d’enfants; les pièces lithiques sont en grès ou en roche éruptive polie; les haches, disques, palettes, pilons et meules sont de très belle facture. Il s’agit d’une culture nouvelle, nettement apparentée aux cultures néolithiques et protodynastiques de la région de Khartoum. Certaines ressemblances avec le matériel nubien devront être précisées. Signalons que la mission française a dégagé également à Kadada une vaste nécropole méroïtique (datant des environs de l’ère chrétienne) comportant des sépultures de différents types allant du simple puits, contenant le corps accompagné d’un ou de plusieurs vases, aux tombes à cavité, bourrées de matériel céramique et dotées parfois d’une descenderie.

À 30 kilomètres au nord de Khartoum, la mission de recherches préhistoriques de l’université de Rome, dirigée par S. Puglisi, a choisi le site de Saggai pour analyser de nouveaux témoignages des cultures qui ont produit et développé, du VIIe au IVe millénaire avant J.-C., la «néolithisation» de cette région. Le matériel est caractéristique du Early Khartoum : des poteries à décor de type wavy line et un outillage de quartz. La répartition très particulière des objets sur ce site d’habitations fait songer à l’existence de zones de travail spécialisées: dans le cas de la transformation des produits recueillis, par exemple, il y aurait eu une zone destinée spécifiquement au débitage des animaux provenant de la chasse. C’est à un développement un peu postérieur du Néolithique qu’appartient le site de Kadero fouillé par une mission archéologique de Pozna (Pologne), dirigée par L. Krzy face="EU Updot" 勞aniak; des examens au carbone 14 donnent des repères chronologiques qui se placent vers 5000 avant J.-C.; la partie centrale du tell, qui ne comporte aucun reste d’habitations, servait probablement à parquer le bétail durant la saison humide. Non loin de là, à Zakiab, R. Haaland, de l’université de Bergen (Norvège), a étudié un campement utilisé sans doute pour la pêche et l’élevage durant la saison sèche.

Un domaine neuf, sur lequel les recherches de la campagne de Nubie ont attiré l’attention, est celui des gravures rupestres: la Nubie est apparue comme une province du grand art pariétal nord-africain; d’innombrables gravures rupestres y font revivre la grande faune paléoafricaine: éléphants, girafes, autruches, gazelles, bovidés soulignent la parenté de l’écologie de la vallée ancienne du Nil avec le Tibesti, le Hoggar, jusqu’au très lointain Atlas algérien; à tous les niveaux, ceux des chasseurs comme ceux des pasteurs, les techniques sont les mêmes, les marques culturelles semblables; sur les lisières du Sahara, depuis la mer Rouge jusqu’à l’océan Atlantique, telle figuration de piège relevée en Nubie peut s’expliquer par un système complexe, à tension, illustré sur une gravure de Dao-Timni aux confins nigéro-tchadiens ou par une représentation des chasseurs-pasteurs tardifs du Draa, dans le Sud marocain. Aussi la prospection du grand ensemble de gravures rupestres du Gebel Gorgod, en bordure et en aval de la troisième cataracte, naguère amorcée par la mission M. S. Giorgini, a-t-elle été poursuivie par la mission française (enquêtes de Mme L. Allard-Huard).

Tandis qu’en aval de la première cataracte, l’Égypte, par une série vigoureuse de mutations, se dégageait de ses origines paléoafricaines et, très rapidement, se distinguait dans son éclatante originalité, le Soudan devait produire une culture propre, que l’on connaît surtout par le site de Kerma, en amont immédiat de la troisième cataracte; c’est la culture du royaume de Koush, l’une des plus anciennes et des plus puissantes formations politiques de l’Afrique antique. Koush et les éléments contemporains du «groupe C» de basse Nubie s’opposèrent durant près d’un millénaire (2300-1550 av. J.-C.) à la progression des Égyptiens vers le sud. Pour les contenir, les pharaons durent édifier en basse Nubie, en aval de la deuxième cataracte, un ensemble impressionnant de forteresses, vraie ligne Maginot du désert; à Buhen, à Mirgissa, à Semna, ces énormes ensembles fortifiés de briques crues, avec fossés, remparts, tours, créneaux et meurtrières ont resurgi pour quelques mois, avant de se fondre définitivement sous les eaux du lac Nasser. C’est en amont immédiat de la troisième cataracte, à l’extrémité nord du bassin de Dongola, que se trouvait Kerma; étudié au début du siècle par G. A. Reisner, le site a été fouillé méthodiquement à partir des années 1970 par la mission archéologique de Genève, dirigée par C. Bonnet. Le dégagement des quartiers de la ville confirme l’important développement de la civilisation soudanaise. La fouille des nécropoles permet de préciser les coutumes funéraires locales: coincé entre deux grandes peaux de bovidés, le défunt était inhumé sous un tertre marqué en surface d’un joli décor de cailloux blancs et de pierres noires constituant des cercles concentriques; une poterie flammée, des arcs, des bouquets de plumes d’autruche, des éléments de nacre élégamment taillés se distinguent dans l’équipement funéraire. Au centre de la cité, le plus célèbre monument de Kerma, la deffufâ occidentale, fait l’objet d’une étude systématique; cet énorme massif de briques crues, où l’on reconnaît plusieurs périodes de construction, semble avoir eu une destination religieuse. Un autre site de la culture Kerma réside dans l’île de Saï: une grande nécropole et une agglomération sont fouillées par une mission française, dirigée d’abord par J. Vercoutter, puis par B. Gratien.

Après la chute du royaume de Koush (vers 1550 av. J.-C.), la Nubie devient une colonie égyptienne. Les pharaons conquérants la couvrent de somptueux monuments, qui attestent leur domination et la confortent, car les temples sont essentiellement de grands centres de magie opératoire. Les plus célèbres sont les sanctuaires rupestres ou semi-rupestres enfoncés dans le sol en Nubie par Ramsès II (vers 1290-1224 av. J.-C.), parmi lesquels le temple du Roi et le temple de la Reine d’Abou Simbel. Mais plus d’une centaine d’années auparavant, sous Aménophis III (vers 1402-1364 av. J.-C.), le même schéma de sanctuaires couplés, masculin et féminin, fut réalisé plus au sud, à Soleb et à Sedeinga, deux sites que sépare seulement une quinzaine de kilomètres. Entre 1957 et 1977, le grand temple jubilaire de Soleb a été l’objet d’une étude minutieuse menée par la mission M. S. Giorgini qui a effectué des relevés complets des scènes fameuses de la fête Sed et des écussons des peuples envoûtés gravés à la base des colonnes de la salle hypostyle; il a été possible, en de nombreux points, d’examiner les fondations et les procédés de construction.

À Sedeinga, dans l’attente de pouvoir étudier le petit temple de la reine Tiy, l’épouse d’Aménophis III, la mission française dirigée par J. Leclant a repris la fouille du vaste ensemble funéraire méroïtique. Après la domination égyptienne (vers 1550-1090 av. J.-C.), en effet, la région était redevenue indépendante; autour du Gebel Barkal s’était rétabli un puissant pouvoir, assez fort pour entreprendre la conquête de l’Égypte et y installer la XXVe dynastie dite «éthiopienne» (vers 712-656 av. J.-C.). Chassés d’Égypte par les Assyriens, les souverains de Napata, puis de Méroé, ont développé une civilisation originale où, sur le fonds africain, se font sentir les influences mêlées de l’Égypte et d’Alexandrie. Depuis les énormes dégagements dirigés par G. A. Reisner, de 1917 à 1923, dans les capitales de Napata et de Méroé, d’importantes recherches complémentaires ont été effectuées. À Musawwarat es-Sufra, la mission du professeur F. Hintze a pu relever un temple entier consacré au dieu-lion Apedemak. À Méroé, dans le secteur des temples, une fouille stratigraphique du professeur P. L. Shinnie a permis d’atteindre des scories de fer dans des niveaux antérieurs à 500 avant J.-C.: ce sont les débuts de la métallurgie du fer en ce secteur d’Afrique; les impressionnants vestiges des pyramides sont l’objet des soins de F. Hinkel; sur le mur nord de la chapelle de la pyramide Beg N 8 a été faite une découverte inattendue: celle du premier dessin architectural d’une pyramide connu à ce jour, qui montre la moitié de l’élévation du monument. Si la basse Nubie est désormais enfouie sous les hautes eaux du lac Nasser, il y subsiste cependant, perchées sur ce qui est devenu un îlot, les ruines du rocher de Qasr Ibrim, où est installée une mission de l’Egypt Exploration Society. On y a retrouvé des témoignages relatifs à Taharqa (vers 690-664 av. J.-C.) et aux souverains méroïtiques; ce fut aussi un centre d’influences romaines; à côté de nombreux textes méroïtiques, on y a découvert en abondance des papyrus grecs et latins; la publication de cet important matériel a un grand intérêt scientifique.

Telles sont quelques-unes des directions très variées dans lesquelles est engagé l’effort archéologique dans la vallée du Nil. Encore cet exposé ne prend-il pas en compte toutes les découvertes fortuites et les multiples entreprises que ne manque pas de susciter l’extraordinaire richesse archéologique de cette région. En 1900, Gaston Maspero pouvait écrire que l’Égypte était à peine égratignée; le propos conserve quelque valeur. Cependant, un danger considérable a surgi du fait de l’extension rapide des zones de culture et d’occupation des sols. Lors de la séance de clôture du IIe Congrès international des égyptologues (qui a eu lieu à Grenoble le 15 septembre 1979), à la demande de l’Organisation des antiquités de l’Égypte et de la direction des antiquités du Soudan, un appel a été lancé pour attirer sur ces problèmes l’attention des autorités; il a été demandé aux égyptologues de donner la priorité à la prospection (surveys ) des zones menacées de destruction, les régions particulièrement en péril se trouvant être le Fayoum et le Delta en Égypte, ainsi que le bassin du Dongola au Soudan; il a été recommandé de participer à des programmes de documentation, de fouilles, de protection et de publication des sites menacés. Ainsi, tout au long de la vallée, que ce soit dans les capitales glorieuses, telles que Memphis ou Thèbes, dans le Delta, à l’extrême nord, ou loin vers le sud, au Soudan, l’archéologie égyptienne demeurera longtemps encore aussi active qu’au temps de ses célèbres pionniers, Champollion et Mariette.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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